NOS CROIX
Puisque je vous parle des anciennes coutumes naïves et belles, toute pleines de confiance chrétienne, voici l'histoire de quelques unes de nos croix élevées au bord de nos chemins par nos Ancêtres, aux siècles derniers.
Cette coutume d’élever une croix à l'endroit même où un être cher était décédé accidentellement ou pour témoigner une reconnaissance particulière à l'égard du Sauveur, dura pendant deux siècles. On compte 24 calvaires sur le territoire de Gerbépal… c'est bien la preuve que les générations qui nous ont précédés étaient profondément croyantes.
Voici l' emplacement de ces 24 croix : 2 à la Crosse, 1 aux Ziauprés, 1 aux Bouleaux, 1 au Plafond, 1 au bas du Village, 1 à Bémont, 1 près de chez Jean-Marie Delorme, 1 près de chez Claude Jacquel, 1 au croisement des Fourneaux, 2 aux Fourneaux, 1 près de chez Michel Oriel, 1 aus Saulcy, 1 aux Bonnes Fraies, 1 à la Fetelle, 1 aux Trexons, 2 à la Basse, 1 à Martimpré, 2 au Haut des Frêts, 1 grande du cimetière et 1 dans la forêt, en face de chez Madame Pierre Mougeot.
Croix du bas du village
La plus ancienne sans doute. D'un côté de la croix un beau Christ ; de l'autre côté une Vierge et l'Enfant Jésus. Elle était entourée de deux têtes d'anges, dont l’une était déjà perdue en 1914.
Sur la base du fût on lit : « réparée par les Marcot, l'an 1804 ». Sur le piédestal il y a une autre inscription : « Demange Marcout et Jennon, sa femme, en fait faire cette croix l'an 1667 ». Réparé plusieurs fois, le fût de la Croix ne remonte qu’à l’année 1804 et le morceau qui porte la date de 1613 est sans doute un reste d'une croix plus ancienne, utilisée par la famille Marcout pour restaurer ce souvenir de famille, renversé très probablement par le fanatisme révolutionnaire.
Jadis, c'était là que se dirigeait la procession annuelle du 15 août pour accomplir le vœu de Louis XIII.
Croix du parc
En montant au Plafond. Elle a été érigée, comme celle de la Crosse, par J.B. Guery et son épouse : Jeanne Nix.
J.B. Guery, né en 1772, avait été élu capitaine de la Compagnie de la Garde Nationale, formée à Gerbépal le 12 septembre 1790. Cette compagnie comptait 168 hommes, de 20 à 35 ans. Donc J.B. Guery avait alors 18 ans. Il était secondé par un lieutenant : Dominique Didier, et un sous-lieutenant : Nicolas-François Sachot, des Fourneaux.
La Garde Nationale faisait la police au pays. Et quelques procès-verbaux prouve qu'ici la Garde n’eut à lutter que contre les ivrognes qui faisaient du tapage dans les rues la nuit, et contre les cabaretiers qui avaient l'astuce de cacher dans les chambres de derrière les joyeux consommateurs oubliant, comme par hasard, l'heure légale de la fermeture !
De 1793 à 1801, J.B. Guery est enrôlé dans l'armée du Rhin, c'est la guerre contre les Autrichiens et les Prussiens. Fait prisonnier, il ne revient au pays qu'en 1801, après la paix de Lunéville avec l'Autriche.
Pendant sa longue captivité, en Allemagne, il s'était amusé à faire des bibelots en bois, en particulier un petit sabot qui lui servait de tabatière. Longtemps le brave capitaine fut adjoint au maire de Gerbépal qui, à cette époque, changeait souvent (12 maires en 15 ans, de 1791 à 1806). A toutes les séances du conseil municipal le sabot de tabac circulait volontiers, et c'est ainsi qu'on en vînt à dire, au Conseil et bientôt dans le village, lorsqu'on ne voyait pas arriver J.B. Guery : » aujourd'hui nous nous passerons de tabac ! », ou bien, quand on le voyait approcher : « nous aurons du tabac, aujourd'hui ! » de là est resté à J.B. Guery et à ses descendants directs le surnom de « Tabac », prononcé comme si le c de la fin c'était un k : « Tabak » !
Cette famille n'était pas riche. Elle ne payait, en 1815, que 12 francs de contributions foncières. Il y eut, dans cette famille, 8 enfants.
En 1811, ils avaient déjà perdu trois enfants : Jean-Baptiste un an et demi ; Marie-Agathe, 10 mois et Georges, 2 mois. C'est pourquoi ils firent bâtir cette croix modeste du Parc, pour remercier Dieu de leur avoir conservé Louis qui avait 7 ans.
Douze ans plus tard, en 1823, ils avaient encore perdu : Jeandel à 4 ans ; Jean-Nicolas, à 6 mois et Marie-Catherine à 4 mois. Leur seule fille survivante : Marie-Jeanne avait 8 ans et Louis 19 ans.
C’est alors qu’ils érigèrent la seconde croix, la première de la Crosse.
Marie-Jeanne n’est décédée qu’en 1898, âgé de 83 ans, entourée de ses enfants, neuf petits-enfants, et ses trois arrière-petites filles : Marie Pierrat, Suzanne Pierrat et Madeleine Boquel. Suzanne Pierrat, devenue Madame Veuve Joseph Valence, est décédée le 7 mars 1976, âgée de 79 ans. Marie Pierrat, devenue Madame Veuve Albert Marchal, est décédée le 4 octobre 1983, âgée de 93 ans.
Deuxième croix de la Crosse
Elle date de 1835.
Sébastien pierre, né le 5 juillet 1778, était organiste à Corcieux où il maria, le 23 avril 1825, Madeleine Aubert.
La musique n'empêchait pas Sébastien de bien conduire sa barque. Il possédait à Corcieux, sur la route de granges, une jolie maison d'habitation et aussi quelques lopins de terre.
En août 1835, il achetait une petite ferme au « Bas de la cloche ». Malheureusement le 26 septembre de la même année, il mourut d'une congestion sur le chemin de la Crosse, en face de la scierie.
Il laissait un enfant, âgée de 9 ans : Marie-Justine Pierre, qui fut élevée par sa mère à Corcieux et se maria à Dominique Demangeon de Bruyères.
Madeleine Aubert éleva cette croix à l'endroit même où était mort son mari ; mais en 1910, quand on fit la nouvelle route de Gerbépal à Corcieux, cette croix fut transportée à une trentaine de mètres plus haut et sur l'autre côté de la route. Et vers 1910 aussi, Madame Ecker, organiste à Gerbépal, aimait jouer, après la messe, aux grands jours de fête, la marche de Sébastien « l’organisse » !
La croix du dessus du village
Près de chez Michel Auriel. 1824.
Cette croix était à une dizaine de mètres plus loin, sur le bord du chemin de devant Varimont, et elle a été déplacée pour une construction. Elle avait été élevé là où était mort, le 6 février 1824, François-Augustin Vincent, de la Moline, âgé de 42 ans. C'est Marie Barbe Guery, son épouse, qui l’a fait ériger à l'intention de son mari.
Dans la nuit du 5 au 6 Février, il y eut une bourrasque de neige. F.A. Vincent s’en retournait chez lui, à la Moline. Plus il avançait, plus il s'enfonçait dans la neige. A bout de forces il appela au secours. Mais la tempête, les rafales de neige étouffaient sa voix. Personne n’entendit ses cris de détresse… on ne retrouva, le 6 Février à 16 heures, qu’un cadavre enfoui dans la neige. Le procès du juge de Corcieux indique que la congestion a été occasionnée par la fatigue et le froid.
Sa femme, veuve avec 5 enfants, dont la plus jeune Marie-Anne n’avait que 11 mois, deviendra la mère d'Adrien Vincent du Dessus du Village, grand-père de Roger Vincent.
La croix du Plafond
D'abord elle se trouvait à l'angle des chemins de Corcieux et de Hennefête. Voici l'inscription : « j'ai été érigée par les habitants de Gerbépal, en l'honneur de Jésus agonisant, et bénie le 8 mai 1820, par Monsieur Didelot (curé de Gerbépal). Faite par J.B. Lhôte. J.B. Lhôte était le grand-père de Charles Cleuvenot.
Elle a été changée de place en 1845, et se trouve toute proche du Relais des Oiseaux, côté Corcieux. Une anecdote sur cet endroit du Plafond qui est la limite des trois paroisses de Corcieux. Anould et Gerbépal : en 1852, les Curés des trois paroisses furent invités par le Comice Agricole de l'arrondissement de Saint-Dié à un grand banquet donné en plein air, et ils se trouvèrent à la même table sans sortir de leur Paroisse respective !
Croix près de chez Jean-Marie Delorme. 1804.
Jean-Baptiste Genay était, à cette époque, le plus riche propriétaire de Gerbépal. A sa mort 71 héritiers se partagèrent ses champs, ses maisons, ses prés, ses hagis, ses écus et ses créances, et il en avait !!!
Comme il n'avait eu qu'un fils, en 1800, et que ce fils était mort très jeune, nous pouvons supposer qu'à l'occasion de cette mort il fit ériger cette croix. Il prévoyait qu'un jour, lorsque la succession serait ouverte, ses innombrables cousins sauraient se rappeler le degré de parenté qui les unissait à lui ; mais que, lorsque la succession serait partagée, il n'aurait plus ni cousins ni petits-cousins pour penser à lui et à ses parents…
C'est pourquoi, dans une pensée de foi et de mélancolie à peine éguisée, il fait dire aux passants que lui et les siens n'attendent plus que d’eux quelques prières compatissantes.
Croix près de chez Claude Jacquel. 1732.
A 100 mètres plus loin, à l'angle de la maison de Claude Jacquel, on trouve une croix qui, jadis, était un peu plus bas.
En 1864, Jean-Eloi Guery, dit Jean Valette, vendit à Jean-Auguste Hartmann, dit « Guiton Pique », sa maison de culture. Puis il se construisit, sur le terrain d'en face qui lui appartenait, une autre maison et, pour ce faire, il dut déplacer la croix pour s'installer là où elle se trouve aujourd'hui.
Ce fameux Guiton Pique était un type légendaire. Il jouait de la flûte, plutôt mal que bien, et tenait le rôle d’amuseur public. Les Anciens du pays se souvient encore des histoires cocasse de ce personnage, bon vivant, un peu pique-assiette sur les bords, qui logeait, avec son frère, dans une baraque, sur le ruisseau, un peu plus haut que chez André Mangin.
Voici l'inscription qu’on lit sur le piédestal de cette croix : cette croix a été érigée par Baradel et C. Chaxel, son épouse, pour honorer la passion de N.S.J.C. et pour le repos de l'âme de S. Baradel, son Père. Priez Dieu pour les trépassés. Requiescant in pace. 1732 ».
La famille Baradel fut certainement pendant le 18e siècle des premières familles de Gerbépal. En 1804, nous retrouvons encore une Marie-Anne Baradel, veuve de Nicolas Vincent, qui donna à notre église la belle grille en fer forgé qui sépare le cœur de la nef.
Vous pouvez contrôler, son nom est inscrit dessus.
La Croix Jeandel
A la Basse de Martimpré, il y a deux croix. Celle du bas a été faite par M.A. Mangin, l’épouse d’un Mr Mangin qui a dû mourir là. Elle date de 1809.
L'autre croix se trouve sur le bord de la grand-route, à 200 mètres avant l'école de la Basse. C'est la Croix Jeandel.
Jean-Antoine Jeandel, originaire de La Chapelle, où son grand-père avait été Maire, se maria, le 18 mars 1824 à Gerbépal, avec Marie-Anne Guery, petite-fille de Laurent Guery, ancien Maire de Gerbépal.
Nos jeunes gens n’avaient qu’une vingtaine d'années pour se marier et étaient proches parents, plus même qu'il ne le croyaient. Ils avaient d'abord obtenu une dispense de consanguinité pour leur mariage et, un mois plus tard, le 29 juin, à l'occasion de la fête patronale, il durent se remarier devant leur Curé parce qu'on avait découvert un nouveau lien de parenté qui les unissait entre eux….ils habitèrent longtemps à la Basse, où il se bâtirent une belle maison. Après 19 ans de mariage, n'ayant pas eu d'enfants, il se décidèrent à ériger une croix pour obtenir du ciel la faveur qu’ils désiraient depuis si longtemps. C'est pourquoi il firent graver sur le piédestal de cette croix une courte et touchante inscription :
« cette Croix a été faite par JA Jeandel et M.A. Guery, son épouse, en l'honneur et passion de N.S.J.C.. Prions : Seigneur ayez pitié de nous. 1843 ».
Mais le Seigneur n’eu pas pitié d'eux, du moins pour exaucer ce désir bien légitime d'avoir une postérité. Antoine Jeandel et M.A. Guery moururent sans enfants dans leur maison du dessus du village, (c'était la maison de Julien Jacquel, démolie par la dernière guerre, où se trouve le hangar de Claude Jacquel).
En 1864, le samedi 18 Juin, Jeandel fut parrain et sa femme marraine de la grosse cloche. Ils avaient donné 1800 francs pour mériter cet honneur et parce qu'ils voulaient laisser à leur église un souvenir immortel de leur foi et de leur piété.
Croix de la Fetelle
Elle est monumentale par ses dimensions ; mais de style rudimentaire. pas d'inscription, pas de date précise d’installation. elle se trouve dans un beau coin qui, jadis, était regardé comme un lieu fréquenté par les sorciers !!
Ainsi pendant l'hiver de 1854, un certain soir, voilà qu’un fermier de Séchaux, J.B. M. s'en revenait des Bonnes Fraies et passait devant la croix de la Fetelle. Tout à coup, des fantômes, habillé de blanc, se mettent à sa poursuite, le tirent par son habit et cinquante fois au moins le font rouler par terre dans ce chemin qui n'avait rien de moelleux… Arrivé chez lui, plus pâle encore que les fantômes qu’il venait de rencontrer, il raconte la lutte terrible qu'il a eu à soutenir contre les sorciers. Vite on s’arme de bâtons, de fourches, de lanternes, et toute la famille vient à la recherche des esprits malfaisants qui ne se montrèrent plus et qui durent bien rire sous bois de la terreur qu'ils avaient causée !!!
L’histoire ajoute que J.B. M. avait été bien accueilli et bien rafraîchi aux Bonnes Fraies ce soir là, et que non loin de la croix se trouvait une maisonnette dont on voit encore les ruines et qui était habitée par de mauvais plaisants !
Croix des pendus . 1698.
C’est le Sieur Jean-François de Martimprey qui a fait faire cette croix,sur le bord de la grand’route, en face de la chapelle de Sainte Anne. Jean-François se fit un devoir d’agrandir et d'améliorer le patrimoine dont il était le principal héritier. Il acheta la grange de Narouël, 80 jours environ. La meilleure partie de son temps fut consacrée à l'éducation de ses quatorze enfants.
Cette croix de Martimpré, on l'appelle « La Croix des pendus », parce que Jean-François obtint du Duc de Lorraine, Léopold, en 1717, que le fief de Martimprey fut érigé en fief de moyenne, basse et haute justice ; ce qui lui donnait, à lui et à ses héritiers, « la puissance de coercition et réprimande des délinquants, par mort, mutilation de membres, fouet, bannissement, marques, pilori, cochelles et autres peines corporelles semblables ».
Il avait, comme signe de son droit de haut justicier, un gibet au carcan, ou un arbre pendret qui devait se dresser en face de cette croix, afin que les condamnés, avant d'expirer, puissent jeter un regard de confiance et d'amour sur l'image de notre doux Sauveur, pendu lui aussi à cause de nos fautes.
Mais la tradition nous rapporte qu’il n'y eut jamais de pendaison à Martimprey. Ce qui nous est facile de croire, car les seigneurs de Martimprey n’étaient célèbres dans le pays que par leur bravoure, leur bonté et leur pitié, et les habitants du fief devaient être, comme leur petits fils, d’humeur trop pacifique et d'une vie trop simple et trop chrétienne pour ne jamais s'exposer à la corde !!
Au début de cette brochure, je vous racontais l'histoire du clocher de Gerbépal, je veux, en terminant, vous transcrire celle du « Pendu de Martimprey », que je trouve aussi dans «Légende et Fiauves du Pays des Lacs », édité par les Ménestrels de Gérardmer, après, bien sûr, leur en avoir demandé l'autorisation :